Cela faisait un moment que je souhaitais découvrir une cueillette de champignons pas comme les autres qui suscite bien des convoitises et des secrets... le cavage des truffes ! Lors de mon passage au Salon International du Livre Gourmand à Périgueux fin novembre, j'ai eu des contacts très intéressants, notamment avec Jean-Claude Pargnay, auteur de l'excellent ouvrage Truffe, osons une culture raisonnée. Pour moi, cultiver des truffes, c'était forcément en terres périgourdines. Mais au fil de mes recherches, j'ai découvert qu'en Berry, cette culture était aussi légion. J'avais bien repéré autour de Bourges et en campagne berrichonne des terrains avec des chênes verts et pubescents de tailles moyennes parfaitement alignés, sans vraiment faire le rapprochement...
Après renseignements, j'ai contacté Hervé Policard, "un trufficulteur très sympa, un "bon client", d'après une amie journaliste qui avait été amenée à l'interviewer. Ni une ni deux, direction Farges-en-Septaine, à une vingtaine de kilomètres de Bourges. Le soleil qui pointait au zénith annonçait une belle journée. A peine garée, l'accueil a été festif ! Dakia, adorable chienne labrabor crème, m'a souhaité la bienvenue à sa manière, sur le dos, les quatre papattes en l'air (elle a dû sentir que j'aime beaucoup les chiens et les champignons !). Hervé et moi, accompagnés de Dakia et de sa truffe affûtée, sommes ensuite partis dans la truffière à la recherche du diamant noir...
La technique dite du "cavage" consiste à trouver et déterrer la truffe. Elle peut se faire de deux façons : selon la méthode "à la mouche" ou avec l'aide d'un chien. La première prend du temps, demande de l'expérience et reste, selon les dires d'Hervé, assez rare auprès des trufficulteurs professionnels qui ont un impératif économique. " C'est une méthode insolite, folklorique, mais fastidieuse et aujourd'hui désuète", confie-t-il. Il faut repérer à la surface du sol une mouche de la famille des Helomyza ou Suillia. Elle ressemble à une grosse fourmi ailée aux tons dorés, cuivrés, ourlée de poils raides. Quand elle est pleine d’œufs, elle recherche des truffes arrivées à maturité pour y pondre dedans et permettre à ses larves de se nourrir. Si une Suillia vole au pied d'un arbre truffier, c'est bon signe ! Encore faut-il repérer le minuscule insecte et guetter ses allers-venues avec une brindille...
Avec un chien truffier (ou un cochon), on arrive à caver un nombre de truffes bien plus important. Lors de ma visite chez Hervé, en l'espace d'une heure, Dakia en a déniché une bonne quinzaine, sans se tromper une seule fois ! Je la regardais se promener autour des chênes avec la nonchalance de son vieil âge et signaler d'un coup de patte le lieu exact où se trouve la truffe. Sans attendre, elle allait quérir une friandise à son maître pour être récompensée. Le dressage d'un chien truffier ne semble pas trop compliqué. Dès son plus jeune âge, on cache de minuscules morceaux de truffe dans un cube de fromages, enterrés à quelques centimètres de profondeur. Pour Dakia, cela n'a pris que quelques jours d'éducation truffière (une brillante élève en somme), pour d'autres, cela peut prendre plus de temps. J'avoue avoir essayé de retour à la maison avec Gaïa, niet... mais avec ma petite dernière, Nook, c'était très encourageant !
Hervé a lancé ses premières plantations en 2005-2006, jusqu'à 2009 sur près de 4 hectares. Et cela lui a plutôt réussi, il fait partie des trufficulteurs les plus "chanceux" dans le Berry. Bien que la production de truffes réponde à un certain savoir-faire scientifique et agronomique, elle cache bien des secrets... Par exemple certaines parcelles, pourtant composées du même sol (vérifié après analyses), sont très productives alors que d'autres beaucoup moins. Pour se développer, la truffe a besoin avant tout d'une terre calcaire, ce qui est la caractéristique de notre région. Elle est mycorhizée (reliée) à une profondeur de 1 à 15 cm au pied d'arbres dits truffiers comme les chênes verts, pubescents, les charmes, mais aussi les noisetiers (vendus déjà mycorhizés par des professionnels). La truffe se développe au printemps et grossit à partir de mi-août pour arriver à maturité plusieurs mois plus tard. La saison du cavage débute fin novembre et se termine courant mars, la meilleure période pour en acheter étant courant janvier, moment durant lequel le parfum des truffes est à leur apogée.
A l'état sauvage, la Tuber melanosporum est inféodée à des milieux de type pelouses sèches où prospèrent également les genévriers, les prunelliers, les orchidées, végétaux très présents en Berry. Contrairement aux idées reçues, la récolte de truffes noires existe en chez nous depuis le Moyen-Age. On raconte qu'en 1370, le Duc de Berry s’en fit porter au château de Vincennes où il était en voyage. En 1860, presque 5 tonnes de truffes noires sont produites dans le Berry. Seulement à partir de la première guerre mondiale et jusque dans les années 90, la pratique tombe dans l'oubli. Mais "à cœur vaillant, rien d'impossible", comme on dit chez nous ! La trufficulture berrichonne a été relancée depuis une quinzaine d’années, dans un premier temps dans l'Indre, puis dans le Cher, et visiblement, cela marche plutôt très bien. L'association des trufficulteurs en Champagne berrichonne propose de nombreux événements autour de la truffe en périodes de fêtes et de grands chefs de cuisine se fournissent chez eux.
Et le prix ? Eh oui, l'épineuse question du prix doit être forcément posée sur la table... Est-il justifié diront certains ? "Si vous envisagez la truffe comme un champignon de Paris avec lequel on fait de grandes poêlées, vous faites fausse route...", explique Hervé. A l'instar d'un poivre rare ou du safran, la truffe noire doit être perçue comme un plus, une cerise sur le gâteau, un ingrédient aromatique puissant et envoûtant qui ne nécessite pas d'en ajouter des tonnes pour sublimer un plat. Pour une cinquantaine d'euros (le prix au kilo varie de 850 à 1 000 € le kilo, selon la période), vous pourrez dénicher une belle truffe de 50 g qui parfumera sans pareille une soupe, une omelette, un plat en sauce et une crème anglaise.
Le secret pour bien cuisiner la melano et ne pas altérer sa saveur ? Sur les conseils de Marie, la femme d'Hervé, il faut la faire infuser au préalable de quelques heures à 24 heures dans un corps gras (beurre, œufs, crème, sauce...) et l'ajouter au dernier moment, en fin de cuisson. Vous pouvez également râper la truffe fraîche, la mélanger avec du beurre salé pommade et congeler le tout dans des cubes à glaçons pour prolonger le plaisir en attendant la saison prochaine. Un dernier conseil, si vous êtes tentés par cette expérience gustative, achetez vos truffes en direct à un trufficulteur certifié. Il saura vous conseiller, vous aider à les choisir et à les conserver comme il se doit. Maintenant place à la recette ! Un délicieux risotto truffé dans lequel j'ai ajouté des poireaux sauvages dénichés dans les vignes berrichonnes...
Un grand merci à Hervé, Marie (et Dakia !) pour leur accueil chaleureux !
Pour en savoir plus : le site de la Truffe noire du Berry
Vidéos du cavage avec Dakia : en story sur mon compte Instagram lindalouisberry.